Vallée des Merveilles
Vallée des Merveilles
Vallée des Merveilles | |
Paysage de la vallée des Merveilles vue de la baisse de Valmasque. | |
Localisation | |
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Pays | ![]() |
Région | Provence-Alpes-Côte d’Azur |
Département | Alpes-Maritimes |
Coordonnées | 44° 04′ 34″ nord, 7° 26′ 18″ est |
Époque | Néolithique final Âge du bronze ancien |
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La vallée des Merveilles est une vallée du massif du Mercantour, dans les Alpes, où ont été découvertes plus de 40 500 gravures rupestres préhistoriques, datées du Néolithique final et de l’Âge du bronze ancien, au milieu d’autres gravures plus récentes1. Elle est sur le territoire de la commune française de Tende, et appartenait à l’Italie entre 1815 et 1947.
Les gravures préhistoriquesDécouvertes à la fin du xixe siècle, les gravures se trouvent sur des affleurements rocheux (roches moutonnées) ou bien sur des blocs erratiques (pélite et grès essentiellement).
Elles sont de deux sortes :
- des sillons en V correspondant à des inscriptions ou des tracés schématiques attribués aux périodes récentes ;
- des dépressions ou cupules larges à fond plat, réalisées par percussion, attribuées à l’Âge du bronze.
Les éléments de ce groupe comportent des figures à cornes (bovins), des armes (poignards, hallebardes, haches, etc.), des anthropomorphes2,3,4,5 et des figures géométriques (spirales, réticulés, etc.).
L’interprétation est délicate, mais fait généralement référence à des préoccupations religieuses.
Les gravures rupestres, au nombre d’environ 100 000 dont 37 000 figuratives, concernent 3 700 roches couvrant près de 1 400 ha répartis dans un ensemble plus vaste de 4 000 ha. Elles sont réparties dans sept hautes vallées situées à plus de 2 000 m d’altitude, autour du mont Bégo(2 872 m) et du rocher des Merveilles (2 659 m), dont six en France : Vallauretta, Valmasque, col du Sabion, lac Sainte-Marie et surtout Merveilles (972 ha) et Fontanalba (486 ha) remarquables par leur richesse en gravures. Sur le versant italien se trouve le secteur de Vei del Bouc6.
Relevées et identifiées depuis la fin du xviie siècle, les gravures ne furent systématiquement étudiées qu’à partir de 1897 par le Britannique Clarence Bicknell7,8,9, puis le sculpteur Carlo Conti de 1927 à 1942. Le rattachement de la région à la France en 1947 a permis une intensification des recherches, notamment par l’équipe d’Henry de Lumley (Muséum national d’histoire naturelle) qui répertorie depuis 1967 l’ensemble des gravures sur un territoire de 1 400 ha (soit 14 km2)10.
À partir de 1967, le professeur Henry de Lumley11, avec la collaboration de chercheurs du laboratoire de Préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle et du laboratoire départemental de Préhistoire du Lazaret12, entreprend des recherches continues sur le site. Des équipes d’archéologues stagiaires se relaient tous les étés pour inventorier, cartographier, photographier en lumière rasante, décrire (et si nécessaire mouler), relever sur calque puis numériser et organiser en base de données informatisée tous les relevés.
Le site accueille encore de nos jours des étudiants en histoire de l’art, archéologie, géologie du Quaternaire et géomorphologie du monde entier sous la responsabilité d’archéologues spécialisés.
Plus de 30 000 gravures (dont 20 000 figuratives) ont déjà été enregistrées depuis le relevé systématique entrepris à partir de 1967 par un collectif issu d’une collaboration entre universités, musées et instituts scientifiques, financée par le ministère de la Culture et le conseil général des Alpes-Maritimes.
La plupart de ces gravures sont disposées autour du mont Bégo, ce qui a laissé supposer à certains scientifiques que ce mont était sacré. La répartition est d’environ 50 % dans la vallée des Merveilles, et 50 % dans la vallée de Fontanalbe (ou Fontanalba), situées respectivement à l’ouest et au nord du mont Bégo.
Cependant, certains secteurs, situées plus au nord du mont Bégo, contiennent également des séries de gravures, même si celles-ci sont très résiduelles (au mieux quelques dizaines de gravures par secteur). On peut donc établir la répartition suivante, par ordre décroissant d’importance, avec en tête les deux principaux secteurs :
- vallée des Merveilles,
- vallée de Fontanalbe13 ;
- secteur de Valaurette,
- secteur du col du Sabion (à cheval entre la France et l’Italie),
- secteur du lac de Sainte-Marie,
- secteur de Valmasque,
- secteur du lac du Vei Del Bouc (en Italie).
L’ensemble étant inégalement réparti dans un rectangle de 40 km2.
Les gravures historiques
Moins célèbres, de nombreuses gravures dites linéaires ou en sillon en V parsèment les sites et sont faites par traçage (d’autres néanmoins conservent la technique par cupules) . Elles témoignent du passage, si ce n’est de la résidence temporaire comme pour les gravures pastorales14, des hommes au cours de notre ère. La plus ancienne gravure linéaire, étonnante et grivoise, est datée par l’épigraphie du iie siècle de notre ère et est rédigé en latin : HOC QVI SCRIPSIT PATRI MIII FILIVM PIIDICAVIT, soit en caractères actuels : hoc qui scripsit patri mei filium pedicavit15,16,17.
Les figures dites anthropomorphiques, arboriformes et arbaletiformes18sont attribuées au Moyen Âge. S’ensuivent divers thèmes, associés à certaines catégories sociales : marins (bateaux à voile détaillés) ou soldats (figures du xviiie siècle avec la représentation de baïonnettes et mitres de grenadiers), voire contrebandiers.
A l’époque moderne et contemporaine, ce sont les témoignages de soldats alpins italiens ou des bergers de la vallée de la Roya qui dominent, avec notamment des signatures19.
Le lieu où ces gravures sont les plus denses (et visibles par le GR52) et quasi exclusives (avec l’inscription latine, en dehors de deux poignards de l’Âge du bronze) est la Paroi vitrifiée, imposante paroi rocheuse lustrée par le poli glaciaire.
Les « gravures » actuelles n’ont aucun intérêt historique et sont des dégradations susceptibles de poursuites judiciaires20, étant à la fois accomplies dans un site classé monument historique et zone centrale d’un parc national.
Interprétation des gravures
Les recherches dirigées par Henry de Lumley offrent un premier résultat concernant la compréhension et la mécanique de l’organisation sociale et culturelle des peuples anciens de l’Âge du bronze méditerranéen.
Les pétroglyphes sont considérés comme des signes stylisés, des symboles, voire des pictogrammes : chaque gravure ou association volontaire de gravures a une signification propre et représente une notion, une pensée mythique. Ces pictogrammes étaient destinés à inscrire sur la pierre certains rites sacrés en relation avec les préoccupations agricoles et pastorales des populations locales. En ce sens, on peut commencer à parler d’une protoécriture. Il s’agit d’un langage symbolique, essentiellement religieux, où l’image permet d’établir une communication avec le divin.
Les gravures témoignent des croyances des populations d’agriculteurs des Âges du cuivre et du bronze. Pour certains chercheurs, le mont Bego aurait été divinisé et aurait été une puissance à la fois tutélaire en raison des eaux qui en descendent et redoutable par ses orages fréquents et violents21. Le thème le plus représenté est celui du taureau. La présence d’araires attelées aux animaux atteste la pratique de l’agriculture ; des dessins réticulés évoquent des enclos ou des parcelles de champs. Par ailleurs on trouve des représentations d’armes (poignards, haches et hallebardes, arme formée d’un long manche où vient se fixer perpendiculairement une lame de poignard) gravées en nombre. Peu nombreuses, les figures anthropomorphes ont été affublées de surnoms plus ou moins traditionnels, pour les plus connues : le Sorcier, le Christ, le Chef de tribu, la Danseuse… D’autres, plus énigmatiques, autorisent toutes les interprétations, tel l’Arbre de vie à Fontanalbe.
Des interprétations isolées et controversées
D’autres chercheurs travaillent également sur des sujets de recherche variés, en rapport avec les gravures : astronomie, mesure du temps, comparaison avec des religions anciennes, etc.
Émilia Masson (chercheur du CNRS)22 estime, quant à elle, que les gravures évoquent une même idée, celle de la survie. Elle interprète celles du secteur de Fontanalbe comme des scènes naturalistes (représentant le domaine des mortels) et celles des Merveilles comme des scènes cosmologiques (le monde divin). Avec une approche linguistique et spiritualiste de l’étude du site, elle décrit en ces termes les trois principales stèles : « La stèle la plus élevée montre l’union entre le ciel et la terre, le ciel étant représenté comme l’effigie du soleil auréolé qui chevauche une échelle. La terre lève les bras afin de recevoir les pluies célestes. Les deux poignards parallèles tracés entre les figures divines traduisent leur union. Le deuxième épisode du récit, la séparation du couple primordial devenue indispensable afin de maintenir l’équilibre cosmique, est évoqué à l’aide d’une image anthropomorphe qui manie deux poignards en position horizontale. La troisième stèle, située au niveau le plus bas, et au bord même du torrent des Merveilles, relate la victoire du dieu de l’orage et, grâce à elle, la naissance d’un monde nouveau où vont intervenir les mortels. »23
Une piste comme une autre, comme celle par exemple qui lie l’orientation des figures anthropomorphiques avec la position des astres. La thèse a été soutenue par Chantal Jègues-Wolkiewiez (chercheur de l’université Nice Sophia Antipolis). Selon la thèse de Chantal Jègues-Wolkiewiez, les symboles corniformes ou anthropomorphes gravés par les anciens auraient une signification cosmique. La vallée des Merveilles serait un observatoire géant. À cette époque lointaine, le soleil se levait dans la constellation du taureau, symbole de la fécondité et du renouveau pour la civilisation pastorale. L’interprétation astronomique confirmerait l’hypothèse d’un culte dédié à cet animal-dieu à la fin du néolithique, dans la région ligure, à l’image des grands mythes peuplant alors l’imaginaire méditerranéen, comme le Minotaure crétois24.
Pour l’ethnologue Emmanuel Larrouturou, il s’agirait de représentations d’instruments de calcul ayant trait à la matérialisation des cycles lunaires et du nombre d’or en une application cartographique25. Certains personnages représentés tiendraient des rapporteurs, compas, équerres et échelles à corde dont la graduation correspondrait au calcul d’une révolution sidérale lunaire et d’un mois lunaire. L’auteur émet l’hypothèse que les « hallebardiers » sont en fait des cartographes ou les représentants du calcul d’un cadastre primitif en lien avec les cycles cosmiques lunaires observables[réf. à confirmer]26.
Contexte géologique
Le secteur des Merveilles est situé au cœur du massif cristallin externe alpin de l’Argentera-Mercantour.
Sur un socle constitué de gneiss, migmatites et granites d’anatexie, repose une série fluvio-lacustre détritique du Permien.
Trois formations sont distinguées au sein de cette série permienne.
- À la base, la « formation de l’Inferno », transgressive sur le socle cristallophyllien, est essentiellement gréso-conglomératique avec quelques niveaux de décrue silteux.
- Succédant à la formation de l’Inferno, la « formation des Merveilles » comprend pour l’essentiel des siltites verdâtres sur lesquelles a été gravée la plupart des représentations protohistoriques de la vallée des Merveilles datées de l’Âge du bronze. Cette sédimentation homogène en domaine lacustre connaît ensuite des épisodes d’émersion marqués par le développement de structures stromatiformes et des bioturbations.
- Au-dessus de ces niveaux, une sédimentation fluvio-lacustre se poursuit avec le dépôt d’un ensemble gréso-conglomératique entrecoupé de niveaux plus fins silto-gréseux. Cet ensemble est dénommé « formation du Bego » et constitue le dernier terme de cette série sédimentaire permienne.
Les séries mésozoïques carbonatées ont été complètement érodées dans la zone et il faut redescendre vers la vallée de la Roya pour les retrouver.
Un modelé glaciaire mis en place il y a environ 10 000 ans confère sa morphologie particulière à la zone avec une série de polis glaciaires, moraines et blocs erratiques.