Psychotrope
Psychotrope
Un psychotrope est un produit ou une substance chimique qui agit principalement sur l’état du système nerveux central en y modifiant certains processus biochimiques et physiologiques cérébraux, sans préjuger de sa capacité à induire des phénomènes de dépendance, ni de son éventuelle toxicité1. En altérant de la sorte les fonctions du cerveau, un psychotrope induit des modifications de la perception, des sensations, de l’humeur, de la conscience (états modifiés de conscience) ou d’autres fonctions psychologiques et comportementales.
Le terme psychotrope signifie littéralement « qui agit en direction » (trope) « de l’esprit ou du comportement » (psycho). Selon Jean Delay en 1957, « On appelle psychotrope, une substance chimique d’origine naturelle ou artificielle, qui a un tropisme psychologique, c’est-à-dire qui est susceptible de modifier l’activité mentale, sans préjuger du type de cette modification ».
L’effet ressenti lors l’usage d’un psychotrope est parfois désigné sous le terme effet psychotrope, s’il est communément admis que l’effet psychotrope peut être induit par une substance psychotrope.
On dénombre un certain nombre de catégories de psychotropes en fonction de leurs principes actifs et actions physiologiques. Les principales selon le classement de J. Delay et P. Deniker sont : les psycholeptiques, les neuroleptiques, les hypnotiques, les tranquillisants, les thymoanaleptiques, les noanaleptiques et les psychodysleptiques.
Cette classification, avec l’aide d’autres outils complémentaires tels le DSM, permet aux psychiatres d’établir un diagnostic et de proposer (voire imposer) une thérapie chimique.
Usages juridiques du terme
Le terme psychotrope possède une définition en droit pour désigner un ensemble de substances classées aux tableaux I, II, III ou IV de la Convention de 1971 de l’ONU.
L’existence de ces deux définitions amène souvent une confusion dans l’usage du terme : tout le groupe pharmacologique est supposé soumis à réglementation alors que le terme juridique ne désigne qu’une petite partie de ces substances. Dans le langage courant, c’est le sens pharmacologique qui est prédominant.
On désigne aussi parfois certains psychotropes sous le terme de stupéfiants ou de drogue2, s’ils sont illégaux ou soumis à une réglementation3, le terme stupéfiant ayant eu lui aussi deux définitions amenant souvent une confusion dans son usage.
L’ONU ne donne pas de définition du terme psychotrope dans ses conventions, se contentant de lister les substances ainsi catégorisées, cette absence de définition est à l’origine de la confusion qui a parfois lieu entre les deux définitions.
Du fait de son usage dans les conventions internationales, ce terme a été repris notamment par les législations de la Belgique, de la France et de la Suisse pour désigner un ensemble de produits généralement listés en annexe des textes législatifs mais non défini.
Histoire de l’usage des psychotropes
Un usage ancestral
Les produits psychotropes existent à l’état naturel dans divers plantes ou champignons, voire venins ; ainsi, tout au long de l’histoire de l’humanité, la plupart des civilisations humaines ont utilisé des substances psychotropes dans des buts spirituels, divinatoires, médicinaux ou encore récréatifs.
Les humains trouvent dans leur environnement naturel cinq types de plantes4 :
- les plantes alimentaires qui ont un haut pouvoir nutritif et sont utilisées pour l’alimentation ;
- les plantes toxiques, qui le tuent et sont utilisées pour tuer ou faire la chasse ;
- les plantes psychotropes, qui modifient son état de conscience et sont utilisées pour altérer, inhiber ou amplifier les perceptions;
- les plantes médicinales, qui soignent des symptômes ou des affections.
- les autres plantes n’entrant pas dans ces 4 catégories
D’après les travaux de Robert Gordon Wasson5 et de W. La Barre6, l’usage des plantes psychotropes remonte à au moins 15 000 ou 20 000 ans avant notre ère et à au moins 100 000 ans (première sépulture connue) pour Peter T. Furst qui considère comme nécessairement contemporaines la pratique du chamanisme et la ritualisation de la mort7. Selon ces auteurs, les plantes psychotropes seraient essentielles dans l’idéologie et la pratique religieuse sur l’ensemble de la surface de la planète ; l’extrême ancienneté de leur usage serait déterminée par leur uniformité de pratique et de thématique malgré les différences ethniques et géographiques. Cette uniformité témoignerait d’une structuration inconsciente programmée culturellement à accepter l’expérience extatique dans le cadre d’un culte organisé. Ainsi, les chasseurs du paléolithiquearrivés en Amérique étaient culturellement prédisposés à collecter des plantes psychotropes et à les préparer.
La sédentarisation due à la révolution du néolithique aurait permis l’institutionnalisation de la religion occultant peu à peu l’origine chamanique au point de l’oublier comme c’est le cas en Europe, où peu de ces rituels ont persisté. À l’inverse, d’autres auteurs8, considèrent l’usage de substances psychotropes comme une dégénérescence des pratiques chamaniques originelles qui seraient fondées sur la « pure expérience religieuse spontanée ».
Quoi qu’il en soit, ces plantes ne possèdent pas, pour les ethnies qui les utilisent, une image de plante magique ou de chair des dieux dotée de pouvoirs surnaturels qui sont partagés par celui qui les consomme. Le fait qu’elles soient intégrées dans un rituel social, mystique ou religieux leur permet de bénéficier d’une tolérance socio-culturelle qui s’accompagne d’une tradition – souvent orale – de l’usage de cette substance. Cette tradition véhicule les prescriptions d’usage, les quantités à utiliser, les dangers relatifs à l’usage et permet d’installer une sorte d’équilibre relatif entre le produit et les usagers9.
Dès que l’homme sait laisser des traces de son passage, les plantes psychotropes sont représentées que ce soit dans l’art pictural, dans les sculptures ou dans les premiers écrits, ce qui témoigne de leur importance dans la société4. Ces traces permettent notamment aux spécialistes d’apporter une datation des usages.
L’usage d’Amanita muscaria remonte à 7 000 ans avant notre ère – voire au paléolithique – et se serait répandu au cours des migrations de la Sibérie jusqu’au nord de l’Inde7. L’usage de Calia secundiflora aurait 6 000 ou 7 000 ans d’âge selon des traces archéologiques trouvées dans des grottes du Texas7. L’usage de la coca en Amérique latine remonte à près de 5 000 ans10. La culture du pavot à opium était connue en Mésopotamie 4 000 ans avant l’ère chrétienne. L’usage de champignons hallucinogènes en Amérique daterait d’au moins 3 000 ans, tout comme l’usage du tabac et du San Pedrodont il existe des représentations sur des tissus de l’époque chavin7. L’usage du cannabis pour ses propriétés psychotropes est mentionné dès 2 737 av. J.-C. dans le Shen nung pen Ts’ao king11. L’usage du peyotl est représenté sur des pièces d’art funéraire précolombien du Mexique occidental datant d’il y a 2 000 ans7. L’Ipomoea violacea est représentée sur des fresques de Teotihuacan et de Tepantitla datées de 400 ou 500 apr. J.-C.7.
Outre l’usage spécifique des plantes, la façon de les absorber via certaines préparations (ayahuasca, yopo, maté, ololiuqui, etc.), de n’en consommer que certaines parties fait aussi l’objet d’une connaissance ancestrale ainsi le fait de priser (sniffer) date au moins de 1 800 ans avant notre ère comme en témoignent une tablette à priser en os de baleine et un tube en os d’oiseau trouvés sur le site côtier de Huaca Prieta7.