Mythe
Un mythe est une construction imaginaire qui se veut expliquer de phénomènes cosmiques ou sociaux et surtout fondatrice d’une pratique sociale en fonction des valeurs fondamentales d’une communauté à la recherche de sa cohésion1. Il est porté à l’origine par une tradition orale, qui propose une explication pour certains aspects fondamentaux du monde et de la société qui a forgé ou qui véhicule ces mythes :
- la création du monde (cosmogonie) ;
- les phénomènes naturels ;
- le statut de l’être humain, et notamment ses rapports avec le divin, avec la nature, avec les autres individus (d’un autre sexe, d’un autre groupe) ;
- la genèse d’une société humaine et ses relations avec les autres sociétés.
L’étude des mythes est la mythologie. La mythification est l’action ou le processus par lequel l’historiographie, la production artistique ou les représentations populaires considèrent, interprètent ou transforment un personnage ou un épisode historique en un mythe.
Le terme mythe est souvent employé pour désigner une croyance manifestement erronée au premier abord, mais qui peut se rapporter à des éléments concrets exprimés de façon symbolique2 et partagée par un nombre significatif de personnes. Il met souvent en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine3.
Le mythe (qui se veut explicatif en se fondant sur des constructions imaginaires) se distingue de la légende (qui suppose quelques faits historiques identifiables), du conte (qui se veut inventif sans expliquer), et du roman (qui « explique » avec peu de fondements). Ces quatre types de récits fictifs sont parfois confondus4.
Définitions
D’après le Dictionnaire de l’Académie française5, le sens premier du mot mythe, apparu au xixe siècle, est un récit fabuleux, pouvant contenir une morale plus ou moins implicite. Il dérive d’une racine indo-européenne meudh qui évoque le souvenir et la pensée et fait référence à la remémoration6.
Un mythe implique souvent plusieurs personnages merveilleux, tels que des dieux, des animaux chimériques ou savants, des hommes bêtes, des anges ou des démons, et l’existence d’autres mondes.
Il serait exagéré de prendre un mythe au pied de la lettre, et de croire que les peuples les tiennent pour une description parfaitement exacte (y compris les aspects surnaturels) du déroulement des événements. Il serait sans doute tout aussi tendancieux de les analyser comme de simples récits poétiques, dépourvus de base réelle, des formes archaïques de réflexions philosophiques et proto-scientifiques, réalisées par une analogie poétique plus que sur la logique, et exprimées sous une forme symbolique, voire une sorte de roman.
Ces histoires ne sont pas arbitraires les différentes sociétés, même très différentes et sans contacts culturels, présentent des mythes qui utilisent les mêmes archétypes et ceux-ci traitent toujours de questions qui se posent dans les sociétés qui les véhiculent. Ils ont un lien direct avec la structure religieuse et sociale du peuple, et avec leur cosmogonie.
Selon Mircea Eliade : « Il serait difficile de trouver une définition du mythe qui soit acceptée par tous les savants et soit en même temps accessible aux non-spécialistes. D’ailleurs, est-il même possible de trouver une seule définition susceptible de couvrir tous les types et toutes les fonctions des mythes, dans toutes les sociétés archaïques et traditionnelles ? Le mythe est une réalité culturelle extrêmement complexe, qui peut être abordée et interprétée dans les perspectives multiples et complémentaires »7.Les philosophes de l’époque post-mythique, tels que Protagoras, Empédocle et Platon utilisent le mythe comme une mise en scène allégorique afin de faire percevoir leurs propos d’une manière concrète. Par exemple, Platon crée des mythes originaux, ou réadapte des mythes antérieurs (par exemple le mythe d’Er le Pamphylien). À sa suite, d’autres philosophes ou certains auteurs de discours argumentatifs ont, eux aussi, eu recours au mythe, dans un même emploi.
L’anthropologue français Claude Lévi-Strauss, offre cet avis : « Un mythe se rapporte toujours à des événements passés avant la création du monde […] ou […] pendant les premiers âges […] en tout cas […] il y a longtemps […]. Mais la valeur intrinsèque attribuée au mythe provient de ce que les événements, censés se dérouler à un moment du temps, forment aussi une structure permanente. Celle-ci se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur »8.Le spécialiste de la mythologie gréco-latine, Pierre Grimal, concède cette définition généraliste où il prend parti finalement d’accepter le mythe pour lui-même : « C’est à la Grèce que l’on doit le nom et la notion même de mythologie. L’esprit hellène opposait, comme deux modes antithétiques de la pensée, le logos et le mythos, le « raisonnement » et le « mythe ». Le premier, c’est tout ce dont on peut rendre compte rationnellement, tout ce qui atteint à une vérité objective, et qui est identique pour tous les esprits. Le second, c’est tout ce qui s’adresse à l’imagination, tout ce qui n’est pas susceptible de vérification, mais porte sa vérité en soi-même, dans sa vraisemblance, ou, ce qui revient au même, la force de persuasion que lui confère sa beauté9.un mythe et une parole performative ».
Aspects des mythes
Le mythe est une parole performative et agentive10 pour celui qui appartient à la culture qui l’a créé. Cette parole raconte une histoire sacrée qui relate non seulement l’origine du monde, des animaux, des plantes et de l’homme, mais aussi tous les événements primordiaux à la suite desquels l’homme est devenu ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire un être mortel, sexué, organisé en société, obligé de travailler pour vivre, et vivant selon certaines règles.
Le mythe se déroule dans un temps primordial et lointain, un temps hors de l’histoire, un Âge d’Or, un temps du rêve. Le mythe cosmogonique est « vrai » parce que le monde existe. Le mythe d’identité est « vrai » parce que la communauté dont il est l’image existe. Le mythe d’origine est « vrai » parce que la communauté le répète pour continuer de vivre. En ce sens, le mythe contient quasiment toujours des éléments de liturgie.
Réciter le mythe produit une re-création du monde par la force du rite. L’exigence du sacrifice est l’un des plus puissants. Le mythe n’est pas récité n’importe quand mais à l’occasion de cérémonies : naissances, initiations, mariages, funérailles, et tout un calendrier de fêtes et célébrations, c’est-à-dire à l’occasion d’un commencement, d’une transformation ou terminaison dont il rend compte (ou rend conte, c’est selon). Les mythes sont des références essentielles des incantations, notamment dans le chamanisme11.
Typologie et éléments des mythes
Les mythes se retrouvent dans de nombreuses civilisations (mythes de la création du monde ou du déluge par exemple). James George Frazer en a dressé un inventaire planétaire dans son ouvrage Le Rameau d’or (1890)12.
Types de mythes
- La cosmogonie raconte la création du monde. Voyez par exemple le mythe de la création du monde en Égypte antique ou la légende des soleils en Amérique centrale.
- La théogonie raconte la naissance des dieux. Le poème d’Hésiode intitulé Théogonie consiste en une théogonie : il raconte la naissance des dieux grecs antiques (la Théogonie inclut aussi une cosmogonie, puisque certains des tout premiers dieux, comme Gaia et Ouranos, forment le monde physique) et leurs générations successives.
- L’anthropogonie raconte la création de l’homme ; le mythe grec de Prométhée.
- Le mythe de régénération raconte une recréation du monde, le plus souvent après un mythe de cataclysme : le monde s’effondrerait s’il n’était périodiquement recréé ; dans la même catégorie peut se ranger le mythe de création d’une institution susceptible de témoigner de la régénération, le mythe de création d’une plante dont l’utilité se manifeste lors de la régénération ou de sa célébration, le mythe de création d’un animal qui joue un rôle dans la célébration, soit comme victime du sacrifice, soit comme support de la théophanie;
- Le mythe de séparation du Divin et du monde et le mythe de séparation du Divin et de l’homme s’accompagnent fréquemment d’un mythe de l’invention de la mort. Voyez à Âge d’or.
- Le mythe de fondation raconte la fondation d’une communauté ou d’une ville, par exemple l’histoire des jumeaux Romulus et Rémus relatant la fondation de Rome.
- Le mythe eschatologique, racontant la fin de l’univers, par exemple le Ragnarök de la mythologie nordique. Voyez à Fin du monde et Eschatologie.
Quelques mythes célèbres
- Cosmogonie et anthropogonie :
- Dans la Bible :
- le chapitre 1 du Livre de la Genèse constitue le premier récit de la Création, et correspond à une cosmogonie à partir d’un substrat existant de chaos et d’eaux primordiales ;
- les chapitres 2 et 3 du Livre de la Genèse constituent le second récit de la Création qui se situe dans le jardin d’Éden, et correspondent à une anthropogonie ; ils contiennent des références mythologiques à l’arbre de vie, symbole d’immortalité, et à l’arbre de la connaissance du bien et du mal, symbole du savoir illimité, caractéristiques de Dieu13 ;
- La Théogonie d’Hésiode qui décrit la création du monde, l’histoire des dieux, la création des hommes.
- Njeddo Dewal, mère de la calamité : conte initiatique peul ;
- Dans la Bible :
- L’Odyssée (« l’histoire d’Ulysse », d’après le nom grec d’Ulysse, « Odysseus »)
- L’Iliade (du grec « Ilion », autre nom de Troie)
- Mythes de régénération et de cataclysme
- Le Déluge (Bible, Genèse), où Dieu ne sauve qu’un petit groupe de survivants et un couple d’animaux de chaque espèce.
- Le mythe de Proserpine ou Perséphone, qui rend compte de l’alternance des saisons froides, stériles, chaudes et fécondes.
- La cosmogonie aztèque commence par la destruction des quatre soleils primordiaux;
- Le mythe de la destruction de l’Atlantide
- Mythe de l’homme
- Mythe de création d’une institution
- Le mythe d’Hiram, architecte du Temple de Salomon, dont se réclament les sociétés maçonniques et les Compagnons du Tour de France.
- Le roman « néo scientifique » d’Alfred Jarry, Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien, dont se réclame le Collège de ’Pataphysique.
- Mythe de séparation des hommes et des dieux, du monde et de Dieu
- Dans la Bible, la Chute à la fin du chapitre 3 du Livre de la Genèse ;
- En Inde, les sacrifices aux dieux les font monter au ciel et ils abandonnent les hommes.
- Mythe de l’enfant berger futur grand artiste, Un enfant garde des bêtes dans la campagne, pour se distraire de cette tâche monotone, il dessine avec un charbon de bois sur un rocher, passe alors un haut personnage qui décèle le talent du futur artiste, voir Giotto, Jean-Pierre Franque, Simon Mathurin Lantara, autre mythe la mouche peinte par l’apprenti sur un tableau du maître en son absence, à son retour celui-ci cherche à faire partir l’intruse Quentin Metsys et encore Lantara.
- Mythe des gens de caverne repris dans le Coran, et racontant l’histoire à la fois fascinante et douloureuse de certains précurseurs croyants du christianisme, qui furent persécutés et s’enfuirent à une caverne pour s’y abriter. À force de prier Dieu pour les protéger, le miracle divin fait qu’ils s’endormirent trois siècles et quelques années pour assister à l’avènement sinon la propagation de la nouvelle religion sur toutes les sphères de la société.
Philosophie
Le mythe chez Aristote
Aristote écrit : « Aussi, l’amateur de mythes [philomuthos] est philosophe [philosophos] en quelque sorte, car le mythe est composé de merveilles »14. Le commentateur Toula Vassilacou-Fassea soutient qu’Aristote pense que le mythe est digne d’être respecté, mais qu’il ne fait pas avancer la science. Plus ancien que la philosophie, il lui sert surtout d’illustration une fois qu’elle est constituée15.