Art pariétal
Art pariétal
Dans le cadre de l’étude de l’art préhistorique, l’expression « art pariétal » (du latin parietalis, « relatif aux murs » au sens de paroi), désigne l’ensemble des œuvres d’art au sens large (sans appréciation esthétique) réalisées par l’Homme sur des parois de grottes et abris sous roche. La plupart des auteurs l’opposent aujourd’hui à l’art rupestre (du latin rupes, « roche »), art sur rocher à l’air libre, mais aussi à l’art mobilier (que l’on peut déplacer) et à l’art sur bloc1.
Le pariétaliste est le chercheur qui étudie les œuvres pariétales.
Différents types d’art pariétal et d’art rupestre
Premier relevé du plafond aux polychromes d’Altamira, publié par Marcelino Sanz de Sautuola en 1880.
Marcelino Sanz de Sautuola, un gentilhomme espagnol revenant de l’Exposition universelle de Paris, décide d’explorer la grotte d’Altamira découverte sur son territoire par un chasseur. Alors qu’il effectue des fouilles dans cette grotte, sa fillette Maria, alors âgée de huit ans, remarque la première la présence de « toros » dessinés au plafond et découvre ainsi l’art pariétal paléolithique entre 1875 et 1879. M. Sanz de Sautuola publie ses conclusions et son hypothèse sur l’existence d’un art préhistorique dans un opuscule intitulé Breves apuntes sobre algunos objetos prehistóricos de la Provincia de Santander en 18802.
La polémique qui s’ensuit fait rage dans le milieu scientifique ; les spécialistes français tels que Gabriel de Mortillet et Émile Cartailhac rejettent catégoriquement les conclusions de Sautuola. Cette grotte est alors considérée comme un faux par la majorité des savants jusqu’à la fin du xixe siècle.
À la suite des découvertes d’autres grottes ornées, en particulier la grotte des Combarelles et la grotte de Font-de-Gaume en 1901, le préhistorien Émile Cartailhac publie l’article « Mea culpa d’un sceptique » en 1902, réhabilitant ainsi les travaux de l’archéologue espagnol. Cette polémique contribue à la reconnaissance scientifique de l’art pariétal paléolithique comme une forme d’art à part entière.
Les premières datations au carbone 14 de la grotte Chauvet (du nom de l’un des spéléologues qui l’a inventéeen 1994) avec ses peintures âgées de 36 000 ans « font littéralement voler en éclat l’idée d’une évolution linéaire de l’art préhistorique et d’un art primitif balbutiant3, au style fruste et grossier dont aurait progressivement émergé l’apothéose créatrice de Lascaux4 ».
La première grande culture spécifiquement européenne est celle qui a donné naissance à l’art pariétal de l’Arc franco-cantabrique (Charente, Dordogne, Lot, Pyrénées, Pays basque, Cantabrie, Asturies) où 90 % des grottes ornées découvertes le sont dans cette région au début du xxie siècle5. Actuellement, l’art pariétal du Paléolithique supérieur européen remonte à plus de 40 000 ans6.
Techniques
Les principales techniques utilisées sont le dessin, la peinture (au tampon, au soufflé), la gravure (piquetage, incision ou raclage) et la sculpture(modelage en argile ou autre matière ou encore, taille en bas-relief).
Techniques de peinture
Certaines peintures ont été réalisées au pinceau. Les poils du pinceau pouvaient être fabriqués avec du crin d’animal, des poils et même des matières végétales telles que des feuilles ou des tiges. Les peintures peuvent être monochromes, bichromes ou polychromes (grotte de Lascaux).
Des peintures ont été faites au doigt enduit de peinture, comme dans la grotte de Covalanas (es) (Cantabrie)7.
Enfin, la technique du soufflé (ou crachis) était utilisée pour tracer des contours (chevaux ponctués de la grotte du Pech Merle), remplir une surface (grotte de Lascaux) ou faire des mains négatives (grottes de Gargas). Un pochoir délimitait la zone à remplir puis avec un outil creux (os, roseau) ou la bouche, la peinture était expulsée sur le support.
Techniques de gravure
Les gravures par incision de la paroi, plus ou moins profondes, sont effectuées avec un outil en silex. C’est la technique de gravure la plus répandue.
Des gravures sont également réalisées par piquetage : la roche est martelée avec un morceau de roche dure.
Des gravures au doigt sur l’argile molle des parois sont aussi connues dans certaines grottes : plafond des hiéroglyphes de la grotte du Pech Merle par exemple.
Éclairage
« Art des ténèbres » lorsqu’il est pratiqué dans des grottes profondes, l’art pariétal nécessite un éclairage adapté : torche enduite de résine enflammée, lampe à graisse8.
De nombreuses traces charbonneuses sur les parois sont des mouchures (ou mouchetures) résultant du ravivage de la flamme des torche en retirant leur partie carbonisée qui asphyxie la flamme9. Deux techniques de mouchage sont proposées : mouchage classique par écrasement ponctuel et ou étiré avec ou sans chute de charbons, mouchage par frottement (détachement des mouchures), soit naturellement lors de mouvements, soit volontairement par choc avec un objet tenu de la main libre ou par contre-coup10.
En 2013, une hypothèse a été proposée par deux amateurs (un artiste et un professeur de médecine) pour expliquer les techniques utilisées par les artistes du Paléolithique pour réaliser leurs œuvres en fonction de l’éclairage11. Selon les auteurs, ils auraient utilisé des statuettes dont l’ombre projetée sur les parois des grottes permettrait de dessiner la silhouette. Cette hypothèse controversée repose sur l’affirmation selon laquelle des silhouettes seraient identiques dans une même grotte, ou sur une absence de détails tels que les yeux des animaux figurés12. Les détracteurs estiment que les auteurs de cette théorie méconnaissent les grottes, l’évolution des peintures pariétales12 et les dernières recherches, et vont jusqu’à parler de charlatanisme13.
Représentations
Les représentations sont symboliques (points-paumes, signes plus ou moins complexes) ou figuratives. La figuration peut être statique ou dynamique, stéréotypée ou naturaliste. Elle n’est jamais de dos ou par-dessus mais de profil (profil absolu typiquement pour les représentations humaines, « perspective tordue » ou « semi-tordue », « vraie perspective » des Magdaléniens) ou de face. Elle peut être totale ou par segments anatomiques. Les figurations céphaliques sont fréquentes, souvent prolongées par les encolures pour les animaux (protomés), rarement par les poitrails (bustes) pour les humains14.
Archéoacoustique
La plus grande concentration de peintures se trouve aux endroits dotés du maximum de résonancesn 1 sonores15,16. Certaines niches ou recoins de grotte, dont les échos de sons choisis peuvent rappeler les cris d’animaux (meuglement du bison, hennissement du cheval…), sont particulièrement décorés17. Des points rouges en certains endroits sont des indicateurs de repérage du maximum de résonances18 – un phénomène particulièrement évident à la grotte d’Oxocelhaya19 (Pays basque) et à la grotte du Portel (Ariège), et qui se rencontre dans d’autres locations étudiées (Labastide, Niaux20, Grande grotte d’Arcy18, …).
De leur étude de la grotte du Portel (Ariège) en premier lieu, puis de nombreuses autres grottes ornées, Reznikoff et Dauvois (1988) tirent trois principes essentiels :
- la plupart des images (80% à 90%) se trouvent dans des lieux sonores ou dans leur voisinage (moins de 1 m d’écart)21,22 ;
- les meilleurs lieux sonores sont toujours marqués et souvent ornés ;
- l’emplacement de certains signes ne s’explique que par la qualité sonore de leur location, et peuvent d’ailleurs être retrouvés « à l’écoute »21.
Reznikoff détermine également que les points rouges semblent n’avoir qu’une signification purement sonore23. La concordance entre points rouges et résonances atteint 99% dans de nombreuses grottes22.
Théories explicatives
Diverses théories ont été avancées pour tenter d’expliquer l’art pariétal paléolithique.
Nicholas Humphrey (1998) note que de nombreuses caractéristiques de l’art aurignacien et magdalénien européen, de style très réaliste (notamment par opposition aux figures de plus en plus stylisées des faciès culturels suivants), se retrouvent dans l’art produit par des artistes autistes de talent, certains d’entre eux très jeunes. Il met ainsi côte à côte des figures célèbres de l’art préhistorique et les dessins sur les mêmes thèmes d’une jeune autiste de 3 ans 1/2 à 6 ans (panneau des chevaux de la grotte Chauvet, celui de Lascaux, un bison de Chauvet, un mammouth de Pech Merle…) ; il montre aussi une superposition de chevaux dessinée par la jeune enfant à 6 ans, dont le fouillis, « recherché » sans l’être, est étonnamment similaire à nombre de célèbres ensembles préhistoriques. Il y voit comme trait commun l’absence d’intention autre que le plaisir du beau, et suggère que la volonté d’expliquer / d’intellectualiser fait perdre sa fraîcheur au réalisme24. P. Spikins et B. Wright (2016) reprennent et développent cette hypothèse dans The Prehistory of autism25.
Âge et répartition
Jusqu’à récemment on pensait que les plus anciennes œuvres d’art pariétal européennes étaient celles de la grotte Chauvet, datées de l’Aurignacien(32 000 ans avant le présent). Toutefois, jusqu’au xxie siècle la datation précise était difficile, la plupart du temps en raison de l’absence de résidus organiques et donc de l’impossibilité d’utiliser la datation par carbone 14. Depuis, on utilise la méthode de datation par l’uranium-thorium. Celle-ci a récemment permis de dater certaines peintures, en Espagne (grotte de la Pasiega (en), grotte de Maltravieso (es) et grotte d’Ardales), à -64.800 ans — soit 20.000 ans avant l’arrivée de l’homme moderne, ce pourquoi on les a attribuées à l’homme de Néanderthal26.
Les plus anciennes peintures pariétales figuratives ont été découvertes en Indonésie : ce sont celles de la grotte de Leang Bulu Sipong 4, datées par l’uranium-thorium de 43 900 ans avant le présent, dans l’île de Sulawesi, en 201927. Une autre peinture pariétale indonésienne, datée de 40 000 ans, a été découverte dans la grotte de Lubang Jeriji Saléh (en) (île de Bornéo)28.
Une empreinte de main dans la grotte Leang Tempuseng, une des grottes de Maros-Pangkep en Indonésie, a été datée à 39.900 ans ; d’autres figures, elles aussi très anciennes, ont été trouvées sur le même site29.
Environ 350 grottes ornées datant du Paléolithique supérieur sont connues en Europe, principalement en France et en Espagne :
- Grotte du Castillo, Espagne (~40.000 ans)
- Grotte Chauvet, France (~35.000 ans)
- Grotte de Coliboaia, Roumanie (~35.000 ans)
- Grotte de La Pasiega (es), Espagne (~30.000 ans)
- Grottes d’Arcy-sur-Cure, France (~28.200 ans)
- Grotte Cosquer, France (~27.000 ans)
- Grotte de Cussac, France (~25.000 ans)
- Grotte du Pech Merle, France (25,000 ans)
- Grotte de Font-de-Gaume, France (~17.000 ans)
- Grotte de Lascaux, France (~17.000 ans)
- Grotte de Niaux, France (~17.000 ans)
- Grotte d’Altamira, Espagne (~15.500 ans)
- Grotte de La Marche, France (~15.000 ans)
- Grotte de Creswell (Nottinghamshire), Royaume-Uni (~14.500 ans)
D’autres grottes ont été ornées à des époques postérieures (Épipaléolithique, Néolithique, âge du Bronze…). Tel est le cas de la grotte de Magoura à Belogradchik en Bulgarie (~10.000 ans).
- Serranía de La Lindosa (site préhistorique) (Colombie)
Bibliographie
- Michel Lorblanchet, Naissance de la vie. Une lecture de l’art pariétal, Éditions du Rouergue, 2020, 224 p