
Constructions en pierres sèches (Cabanats, Courets)(Temps de lecture estimé : 12 minutes)
Dès l’apparition des techniques du pastoralisme au Néolithique, les bergers montent dans les montagnes aux beaux jours, profitant des immenses zones de pâturages qui peuvent nourrir à profusion les troupeaux durant de longs mois.
Mais pour ce faire, ils doivent construire de petits habitats pour eux-mêmes et des enclos pour leurs bêtes.
Les fouilles archéologiques des cabanes et enclos en montagne, à haute et moyenne altitude, démontrent que ce phénomène apparaît en Pyrénées centrales au milieu du IVᵉ millénaire avant notre ère : il y a donc plus de cinq millénaires !
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Ci dessous, la version audio de l’article :
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Sur la commune d’Arrien en Bethmale, la vallée de la Lée, que l’on prononce la lè-o en gascon de Couserans, est située entre la vallée de Bethmale et la vallée du Ribérot. C’est l’une des deux branches supérieures de la vallée de l’Etruc, l’autre étant la vallée de Campurs (avec un R et non Campuls comme on lit sur les cartes IGN). La vallée de la Lée était une vallée pastorales de moyenne altitude occupée en été à mi-saison, avant de monter les troupeaux au Taus et aux Espugues de Milouga, estives de haute altitude. Comme dans toute vallée pastorale, de petits villages de cabanes, des courets et des couloirs de traite pour l’économie fromagère s’y devinent encore, à demi-enterrés. Il y a un « village » en bas de la vallée, un au milieu et un tout en haut, assez bien construit, à 1800 mètres d’altitude. Les Bethmalais hommes et garçons, éleveurs dans l’âme, y passaient une grande partie de l’été ; alors que les femmes et filles restaient au village.
Couret et Cabanat
Si la révolution du Néolithique se caractérise surtout par l’apparition des techniques de l’agriculture, et notamment celles de la culture du blé, de l’orge et du seigle, des graminées orientales en général ; en parallèle – et semblerait-il dès le Mésolithique anté-agricole – se développent aussi les techniques du pastoralisme, mais un pastoralisme désormais en quelque sorte lié à des villages agricoles, lié à des parcelles de cultures nourricières.
Pas question pour les peuplades néolithiques et protohistoriques, des âges du Bronze et du Fer, de transhumer à de très longues distances au niveau régional : car si en été les troupeaux pâturent dans les montagnes proches, en hiver ils doivent redescendre au village, ici à Ayer, resserrés dans des enclos qui se situaient à l’entrée de la vallée du Ribérot.

Ce qui explique que les hautes et moyennes montagnes proches se sont équipées dès ces époques d’enclos pour les bêtes, ici on dit « Couret » ou « Clot », et de cabanes pour les humains, ici on dit « Cabanat » ou « Baderquos ».
En Catalogne voisine, jamais en Pyrénées centrales, on dit « Orris », c’est à dire « au riu », pour les enclos et par extension métaphorique on dit « orris » aussi pour les cabanes ; dans les Alpes pour les enclos on dit « Jasse » en Provençal, ou « Gias » en Piémontais (occitan transfrontalier franco-italien), notamment dans cette fameuse vallée des Merveilles au pied du mont Bégo où les bergers préhistoriques gravèrent – comme chez nous ! – des cupules, des haches/houes et des « corniformes », cad des vaches, chèvres et moutons… à proximité des « Gias » et parfois même sur les dalles de couverture de leurs cabanes.
Que ce phénomène de transhumance en montagne ait été de très longue durée, se soit développé dès le premier Néolithique (vers -3500 en Pyrénées centrales d’après les datations au carbone 14) et confirmé aux âges du Bronze et du Fer, cela est désormais admis par tous les préhistoriens, qu’ils soient universitaires ou érudits locaux : les fouilles de moyenne et haute altitude en Pyrénées centrales, au pays Basque, en Catalogne, en Provence, en Savoie et en Piémont montrent toutes que sous les cabanes et enclos de pierre sèche se trouvent le plus souvent des structures préhistoriques, néolithiques, chalcolithiques/campaniformes, des âges du Bronze et du Fer.
Nous demanderons donc à nos ami(e)s lecteurs de répertorier de visu ces très précieuses structures pastorales, la plupart du temps abandonnées, effondrées et qui s’enterreront bientôt totalement sous les sédiments, mais en aucun cas de tenter de les fouiller : elles perdraient dans ce cas toute valeur scientifique.
Le but du site Paleo-Art.org est de faire venir chez nous des archéologues certifiés, et de leur fournir une banque de données et un collège d’assistants et de prospecteurs bénévoles, bien sûr tous passionnés par le pays et respectueux des traditions montagnardes agropastorales.
Les Courets
Les courets ou clots désignent donc à la fois aussi bien les plats protégés que les enclos eux-mêmes, constitués de pierres soigneusement empilées à sec sur un peu plus d’un mètre de haut sur une cinquantaine de centimètres de large ou un peu plus.
Ces enceintes sont suffisantes pour y resserrer des vaches et des moutons, car, comme les humains, les herbivores aiment aussi être sinon enfermés, du moins protégés la nuit par ces enclos, notamment les nuits de pluie et d’orage, de froid et de brouillard.
Les parcs à bêtes forment donc des enceintes grossièrement circulaires, qui s’ouvrent par quelques portes, quelques pierres dressées, et trouées pour y mettre des bâtons de fermeture.
Les plus grands de ces enclos font jusqu’à 50 mètres ou plus de diamètre, les plus petits seulement 5 ou 6 mètres, mais ils n’ont pas la même fonction.
Les grands servent à rassembler tout le troupeau, les petits pour y mettre à l’abri soit des bêtes malades à soigner, soit celles qui vont mettre bas et peuvent se trouver en difficulté.
La quasi totalité de ces courets de pierre sèche est aujourd’hui abandonnée au profit de parcs fait de fils barbelés, de fils électrifiés et de piquets de fer, ou même de modules de barrières en aluminium…
Mais ils se trouvent souvent à proximité des vieux enclos.
Car en montagne il n’y a pas 36 000 endroits pour parquer les bêtes (la bésiau) : on les rassemble toujours dans des endroits plats, centraux pour l’estivage, et qui ont de l’eau non loin, plutôt une source mais aussi un ruisseau ou un petit lac.
Et c’est donc ici tout particulièrement que s’applique le célèbre dicton « ramondien » : « en montagne, la géographie précède l’histoire ! »

Note : nous reviendrons ailleurs dans le site sur l’économie laitière et fromagère, qui rajoute à ces enclos d’élevage de très longues murettes en forme de V destinées à piéger les bêtes pour les mener aux couloirs de traite, et avec aussi de petites cabanes annexes pour stocker le lait et les fromages au frais, non loin ou au dessus même des ruisseaux/rious.
Les Cabanats
On disait parfois, en exagérant un peu mais avec quelques raisons, que le Pyrénéen rural construisait mieux ses granges pour les bêtes que ses maisons pour lui-même.
On voyait ainsi dans les villages de superbes granges très bien bâties, maçonnées et chaulées, accolées à de piètres maisons à peine maçonnées, au sol de terre battue et sans même de cheminée ni de fermeture aux fenêtres.
De même en montagne, avant nos superbes refuges contemporains, maçonnés et bien couverts, aux cuisines équipées et lits confortables, avec électricité et connexion internet, ce contraste était aussi accentué, comme nous allons le voir.
Que ceux qui ont connus la montagne dans les années 50 et 60 se souviennent…
Plutôt que « cabanat » ou « baderquos », on dit d’ailleurs aujourd’hui « tute » pour ce qui reste de ces cabanes vraiment sommaires, qui sont le plus souvent constituées de grosse dalles avec une petite murette de protection devant, le plus souvent grossièrement empilée.
La plupart de ces cabanes n’avaient pas même de toit, ou quelquefois un très volatile toit de branchages…

La plus célèbre d’entre elles, sur le chemin du Valier, se nomme la tute de Nérech, dite aussi maintenant « tute de l’ours », c’est à dire à peine bonne à héberger quelque bête sauvage.
Par contre, en cas de gros orage d’été, elle abritera le randonneur avec efficacité ; s’il arrive à la trouver à temps, aveuglé par les pluies violentes et les brouillards, effrayé et comme paralysé par les éclairs ; car si les anciens cairns se voyaient de loin même par très mauvais temps, et sauvèrent bien des randonneurs, les peintures des GR sont bien plus difficiles à localiser dans les intempéries. Les plus de 60 ans savent d’expérience « bou diou » ce que je dis là.
Cabane de la Lauze des Caussis
Un exemple : pour ceux qui posséderaient encore les précieuses cartes IGN au 20 000 dites « cartes d’état major », ils verront que la cabane des Caussis, récemment refaite après que le tourisme de masse en eut brûlé les bâts-flancs et le plancher d’étage pour se chauffer, sic transit mundi ; que cette cabane n’existait pas en 1952, ni une autre, et que les bergers qui gardaient ici les troupeaux, sur les plats entre le haut de la cascade de Nérech et les montées aux Estagnous, habitaient la « cabane de la Lauze » : une grosse pierre sous laquelle on peut à peine se glisser, murée par un empilement grossier de pierres sèches.



La cabane de la Lauze, estives des Caussis.
Et n’allez surtout pas croire qu’elle ait ressemblé un jour à ces « orris » de pierres sèches si bien bâtis que l’on nous présente maintenant sur les dépliants touristiques avec leurs si beaux encorbellements à plat et banquettes de couchage, dalle de cuisson et trou de fumée, non : un petit espace de couchage sous un gros rocher, une murette devant pour abriter le feu du vent, une cape de laine pour s’enrouler au chaud, un grand parapluie ou une bâche… et basta !

Je vous remercie d’avoir pris le temps de lire cet article, j’espère que vous avez passé un agréable moment, je vous invite à nous faire part de vos remarques, commentaires et de vos expériences ou expertises à ce sujet.
- Auteurs : Claude Moune, Jérôme Ramond & Vivien Laïlle.
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