Les cupules : tout un monde

Cupule. Un mot au premier abord anodin, derrière lequel se cache tout un monde depuis longtemps en sommeil. Il n’aura suffit que de s’y pencher pour le réveiller…

Ces trous hémisphériques, vieux comme le monde des hommes, font partis de notre environnement montagnard depuis qu’homo sapiens foula le sol européen.

Vous avez surement croisé leurs regards lors d’une promenade ou d’une randonnée dans les montagnes de part le vaste monde, pour peu qu’elles soient granitiques ou schisteuses.

Les cupules sont une des représentations du désir bien humain de laisser une trace ici-bas, avant d’entamer « Le grand voyage »…

C’est de la préparation de ce voyage que nous allons vous parler au fil des articles qui leur seront consacrés.

Ci-dessous, écoutez la version audio de l’article :

Quand tout cela à commencé ?

Si le mot générique « cupule » est récent, l’archéologue Robert Bednarik l’ayant imposé en 2003 afin d’éviter les nombreuses appellations qui les définissaient auparavant, cette pratique, car c’en est une, ne date pas d’hier mais du paléolithique moyen, quand Homo sapiens s’introduisit en Europe. Toutefois on trouva une cupule / bassin daté de 1.700.000 ans dans la gorge d’oldovai – oldowai  » en Tanzanie, qui donnera son nom aux productions de l’industrie « oldowayen », du paléolithique inférieur. La destination de cette dépression est peut-être plus proche d’un bassin que d’une cupule. Quoi qu’il en soit, l’anthropisation est avérée et la fonction utilitaire est plus que probable.

Nous retrouvons des cupules dès 700000 ans av J.-C en Inde centrale, d’autres datant de – 290000 avant J.-C à Bhimbetka ou Daraki-Chattan, toujours en Inde. Elles furent creusées ave lêeme s mpierres aménagées comme il en exista à l’Oldowayen.

En Europe, les 18 cupules gravées sur la face antérieure d’une plaque calcaire recouvrant la tombe d’un enfant néandertalien dans la grotte de la Ferrassie en Dordogne, sont à ce jour les plus anciennes que l’on ait trouvé : (- 70000 à -40000 ans av J.-C). Le Moustérien tardif produisit des cupules à l’Aurignacien (-40000 à – 25°000 ans av J.-C), ainsi que le Magdalénien (-15000 à -10000 av J.C.-).

Dans l’art rupestre les cupules sont parmi les plus mystérieuses et les moins bien comprises, quant à leur significations sont présentes sur toute la surface du globe, excepté en Antartique et en Nouvelle-Zélande, ce qui pour ce pays semble pour le moins antinomique, quand on connait l’art Maorien, présent sur cette île dès -3000 ans av J.-C.

L’Afrique n’est bien sûr pas en reste, du désert du Tassili au Nord, jusqu’à l’Afrique du Sud. Elles participent à l’art africain, sans que nous ayons de preuve nette de leur antiquité.

Comptons -60000 ans avant J.-C pour la colonisation de l’Australie et se concentrent dans des abri sous-roche en grès : Turtle rock dans le Nord du Queensland et Pilbara dans le Sud du pays continent.

Les cupules auront sans doute étés creusées dans un premier temps dans une roche tendre, avant de l’être dans une surface plus dure. Celles ayant impacté des roches tendres auront pour tout ou partie disparues, du moment qu’elles étaient exposées aux intempéries. La proportion encore existantes entre les deux type de roches est donc difficile à établir.

Cela fait un peu moins de 45000 ans que cela dure ; cette pratique ne s’arrêtera qu’au Moyen-Âge quand croyants et pèlerins en creusaient dans les murs des églises, afin de récupérer la poudre qu’ils en tiraient et de s’approprier les valeurs du saint patron des lieux… quand ce ne fut pas à des fins prophylactiques. Cela fait un peu moins de 45000 ans que cela dure ; cette pratique ne s’arrêtera qu’au Moyen-Âge, quand croyants et pèlerins en creusaient dans les murs des églises, afin de récupérer la poudre qu’ils en tiraient et de s’approprier les valeurs du saint patron des lieux… quand ce ne fut pas à des fins prophylactiques.

En certaines parties d’Europe dont la France, leur creusement semble cesser au XIXe siècle.

Arrivées en Europe avec les migrations du Proche-Orient par la vallée du Danube au VI e millénaire, la période où les cupules abonderont se situe entre le néolithique moyen II (-4000 à -3600) et le bronze final (-1350 à -800), avant que leur creusement ne soit progressivement abandonné au second âge du fer, la Tène (-440 à -20 av J.-C). Pour ce qui concerne la vallée du Riberot, les cupules accompagnèrent sans doute les allées et venues des bergers du néolithique et de la protohistoire par delà le port d’Orle menant au Pla de Beret, lui même abondamment pourvu en cupules et en pétroglyphes. A la différence de nombreuses autres parties du monde, les cupules y sont très souvent uniques par bloc.

Ci-dessous : des exemples de blocs à cupules anthropisées, de types positives, négatives et tétons. Nous vous laissons admirer ces magnifiques réalisations, émouvants témoignages de la présence des anciens peuples dans nos montagnes ariégeoises… À quelle fin creusèrent-ils la roche ? Cette question guide nos recherches et nous tenterons d’y répondre au fil de nos articles.

Interprétations des cupules

Elles sont nombreuses, allant des plus irrationnelles aux plus improbables. Entre les deux, quelque part entre notre besoin de rêve et la nécessité de raison propre à l’homme, ce « roseau pensant »qui courbe sa pensée quand il se penche sur leurs causes et leurs effets… Commençons par les plus improbables.

• Elles auraient été creusées sur des « Pierres à sacrifices », ce que la tradition populaire véhicule encore, tant dans le Valais Suisse, qu’un peu partout en Europe. Cette interprétation parait tardive – Ve siècle ap J.-C -, et forgée de toute pièce par le désir impie du christianisme, d’éradiquer les racines des peuples païens – paysans -, qu’elle assimilait aux racines du mal…

• Toujours dans le canton du Valais suisse, on y déposait encore dans les années soixante des offrandes : du miel, du lait et dit-on des gâteaux que l’on y aurait fait cuire. La notion de moule à pâtisserie semble pour le moins improbable. A moins que l’on ait déposé à l’intérieur des braises qui auraient alors pu cuire la pâte. Tempérons ce jugement en remarquant que la toponymie, bien que parfois aléatoire nomme ces roches : Peira padella – pierre poële -, Payrol – chaudron en occitan – etc.

• Polissage de haches polies. Ce qui est incongru et fort problématique, vu la forme hémisphérique des cupules et celle ovoïde des haches. Les polissoirs avec leurs entailles longitudinales, franches et évidentes, répondent davantage à cette tâche.

• Logement /réserve à sel pour le bétail. Les chèvres pourquoi pas, mais les cupules sont trop petites pour que la grosse langue des vaches qui voudraient y laper le précieux condiment.

• Réserve d’eau pour polissoir de haches polies. Cette utilisation ne semble pas raisonnable de part la taille restreinte des cupules et leur contenance, ainsi que leur dispersion sur des zones où il n’y eut pas d’habitat. Qui plus est, il eut été plus loisible de les trouver proche des points d’eau, où il n’aurait suffit que de se pencher pour prendre la quantité de liquide nécessaire…

• A défaut d’être improbable, la représentation de constellations n’est à ce jour pas avérée en vallées du Riberot, d’Orle et dans le massif du mont Valier…

• Jeu ressemblant au jeu de Go. Nécessitent des dalles horizontales, celles qui nous a été permis d’étudier, bien que constellées de nombreuses cupules, ne permettent en rien d’avancer cette hypothèse. En effet, leur disposition est trop aléatoire pour envisager la pratique d’un jeu de société.

• Instrument musical ; nous parlerons donc de lithophones. Ne connaissant pas la musique qui était jouée en ces temps reculés car nous n’y étions pas, nous avons procédé toutefois à des expérimentations. Si frapper les cupules de différents diamètres, main à plat, donne effectivement un son, il est mal aisé d’en déduire pour autant que cela est de la musique. Par contre, les sons rythmiques qui sont produit peuvent très bien être assimilé à un développé musical.

• Logement pour enflammer à l’abri du vent de l’étoupe, du lichen – usnée, dite barbe de Jupiter -, des herbes sèches, pour permettre le départ d’un feu plus important. L’idée est intéressante et techniquement plausible. Néanmoins, nous n’avons pas trouvé de traces de rubéfaction – traces noires ou rougeâtres laissées par le feu – sur des blocs ou dalles cupulés. Cette utilisation statique d’une cupule allume feu, pourrait être en relation avec un habitat permanent ou semi-permanent, voire avec des prairies d’altitude où le bétail séjourna. Cette destination rejoint l’hypothèse de feux de signalisation entre bergers ou patres.

• Structures de bois s’insérant dans leurs logements. Le bois étant par essence périssable, il sera bien difficile de démontrer cette fonction.

• Attachons nous maintenant aux plus probables.

• Le broyage de graines, de fragments de roches afin d’en pulvériser les minerais s’y trouvant. Certaines ethnies ou populations travaillant sur le modèle traditionnel, comme au Mexique et au Maroc, pour n’en citer que deux, utiliser les cupules qu’ils ont creusées par rotation pour concasser du minerai et écraser des graines.

• En relation avec le soleil. Nous ajouterons avec la lune, bien que sa forme changeante lors de son cycle soit plus délicate à mettre en parallèle.

• En relation avec les rites de fécondité. La forme en creux des cupules se prête aisément à cette interprétation, d’autant que nombre d’entre elles sont tournées vers le ciel, par essence masculin.

• L’interdépendance avec les sépultures. Comme d’autres auteurs avant nous : Jacques Briard, Jean-Mary Couderc, Michel Lorblanchet, Jean Abélanet, Robert Bednarik chez les anglo-saxons, nous avons constaté que les cupules sont en rapport avec le funéraire. Dans cet ordre d’idée, les cupules peuvent fort bien avoir délimité un espace sacré et /ou tabou.

• Bornes de limites pastorales ou territoriales. Les relevés que nous avons effectués sur le terrain et que nous avons cartographié, confirme cette destination.

• Réceptacles pour huiles animales au néolithique ou végétales à l’âge du bronze et du fer, à laquelle on adjoignait une mèche de jonc ou autre, afin de faire une bougie, commémorative ou symbolisant la continuité de la flamme de la vie après la mort. Les cupules sur les sépultures-sous-roches que nous avons découvertes, auraient très bien pu servir de flamme des morts, comme il en existe encore dans les cimetières montagnards autrichiens.
• S’inscrivant dans l’art rupestre, les cupules peuvent être envisagées comme une proto-écriture symbolique ou utilitaire, au même titre que les points d’ocre rouge ou noirs que l’on retrouve dan l’art pariétal.

Que peut-on en déduire au sujet des cupules ?

L’élaboration des cupules répondit à un besoin de l’homme de laisser une trace dans la pierre car il relève d’une action archétypale qui reste gravée dans l’inconscient collectif de tout un chacun, au même titre que lever les yeux vers les étoiles, ou faire couler le sable chaud entre nos doigts.

L’éternelle problématique de la véracité de ce que l’on avance resurgit immanquablement à un moment donné de l’élaboration d’une explication.

Même s’il subsiste à l’heure actuelle des cérémonies et des manipulations sur les cupules de part le monde, il n’est pas certain que ces applications contemporaines soient la transmission d’un leg qui nous vient en droit fil, du néolithique ou de la protohistoire.

Il peut fort bien y avoir eu une interruption dans le temps et une reprise tardive, suite à une redécouverte de la technique ou de ce que l’on croit être la technique originale.

Ceci donne souvent lieu à une autre application basée sur une mauvaise interprétation… Comparaison n’est pas raison.

Un autre écueil inévitable est la paréidolie qui nous fait classer une chose nouvelle par rapport à toutes celles que nous connaissons par expérience ou apprentissage.

Par exemple, la forme d’un pierre nous fera instantanément penser à une figure humaine, alors que ce n’est qu’un hasard de la géologie.

Toutefois, cela n’exclut pas que le même réflexe s’appliqua aux passants néolithiques ou protohistoriques, qui y virent le même visage, ou tout du moins un visage.

Si certaines formes demeurent identiques de part les millénaires, d’autres font appels à des références diamétralement différentes quand elles ne sont pas opposées, voire antagonistes : culturelles, sociales, religieuses, artistiques, qui font que nos deux civilisations distantes dans le temps y voient et /ou projettent leurs propres valeurs, idéaux, concepts religieux, artistiques, guerriers…

De là naissent les comparaisons inévitables qui tentent à juste titre ou non, de jeter un pont entre deux conceptions de deux mondes si éloignés, qu’elles n’ont en commun que le souffle de vie qui nous anime.

Souvent idéalisées, les époques passées et les civilisations qu’elles engendrèrent sont à y regarder de plus près, diamétralement antinomiques à notre monde actuel, voire en totale contradiction.

Le champs des interprétations peut donc se transformer en un inextricable bourbier, si l’on n’y prend garde.

C’est donc en pleine conscience que nous apportons notre pierre à l’étude des cupules, qui en tant que phénomène planétaire, ne peut être ignoré, même s’il est négligé ou moqué par certains scientifiques et profanes.

Heureusement que des archéologues de renom tel : Jacques Briard, Michel Lorblanchet, Jean Clottes, Jean-Mary-Couderc, Jean Abélanet et Robert Bednarik dans le monde anglo-saxon, ont étudié la conception de ces marques identitaires que sont les cupules ; on se sent moins seul…

• Auteurs : Claude Moune, Jérôme Ramond & Vivien Laïlle.
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