La pierre du sacrifice ; l’erreur est humaine(Temps de lecture estimé : 11 minutes)
. Nous allons vous conter une fable que les compilateurs se transmirent d’une génération à l’autre… Celle de la « Pierre du sacrifice » qui fit couler beaucoup plus d’encre que de sang.
Pour relater les faits et rien que les faits ; trempons notre plume dans le sang encore frais des victimes de l’histoire biroussanne !
Depuis la parution du best seller de Vincent de Chaussenque « Les Pyrénées ou voyages pédestres dans toutes les régions de ces montagnes » – références : Chausenque 1854, des générations de colporteurs de récits romantiques au style flamboyant et enlevé, reprirent à leur compte un extrait devenu célèbre pour la confusion qu’il entretient toujours dans les esprits :
Page 243 :
« De celle de l’ouest où les formes sont âpres, on descend par des rochers, par des ravins et des bois dans le fond sauvage de Basioue qui au-dessus de Fos envoie au fleuve les premières eaux françaises ; et au midi, la montagne de Crabère élève sa pyramide obtuse au-delà du lac d’Areigne qui réfléchit aussi les rochers du pic de Lart. Au centre de ce large éventail sur un plateau de verdure est la chapelle de l’Isard, que la piété publique entretient avec soin malgré sa solitude et son éloignement. Le 5 août, la fête de N.-D. des neiges y est célébrée avec toutes les pompes champêtres et un éclat qui étonne des échos si longtemps muets. De plusieurs lieues à la ronde, les jeunes pasteurs, les fillettes et tous les ménétriers manquent rarement à ce pèlerinage de plaisir. Du moins cet agreste et saint asile est-il mieux choisi que celui des Hautes-Pyrénées, et la joyeuse congrégation, en sautant à l’envie sur les tapis frais qui entourent l’oratoire de la protectrice que dans leurs périls invoquent le contrebandier et le chasseur, n’est point attristée par les masses repoussantes qui cernent la prison de Héas. Comme presque partout les cérémonies chrétiennes n’ont fait que s’encrer sur celles du paganisme, ces solennités montagnardes ne sont sans doute que la continuation du culte qui était rendu à un autel élevé aux dieux de la montagne, à Diane et à Sylvain sur l’Artigue de Salabre près du lac d’Areigne ; culte qui n’était pas encore entièrement effacé naguère, avant que cet autel que regrette le pasteur (pâtre), eût transféré au musée de Toulouse. Dans la vallée de Baros (Biros), comme dans d’autres cantons du Couserans, les plus hauts pâturages et les monts de la crête se nomment biren ou pyren, ainsi qu’on le voit dans les chansons du pays, où l’on parle de « las filhos de biren ». Ainsi Sentein etc.
La confusion naquit de entre la phrase : « la montagne de Crabère élève sa pyramide obtuse au-delà du lac d’Areigne » dans la 1ère partie du texte et « sur l’Artigue de Salabre près du lac d’Areigne » dans la 2de. Il n’en fallait pas moins pour que les rédacteurs successifs assimilent le dit autel à la chapelle de l’Isard… Au fil du temps, quelques plagiaires en mal de sensationnel, troquèrent au passage, l’autel pour a pierre du sacrifice, plus exotique. Dans ce mélange des genres, remontons la source afin de démêler le bon grain de l’ivraie…
Mais avant que ne parusse ce succès de librairie, un livre à but touristique se pencha sur le sujet. Itinéraire descriptif et pittoresque des Hautes-Pyrénées françoises, jadis territoires du Béarn, du Bigorre, des Quatre Vallées, du Comminges et de la Haute-Garonne (vol 3)- p 170 – 1825
« Un monument dédié aux dieux des montagnes, à Sylvain et à Diane, existe sous le nom de Pierre de Tous, sur une colline peu éloignée de la montagne de Tous-es-Flauts, à environ seize kilomètres de Saint-Bertrand de Comminges. Cette colline est nommée l’Artigue de Salabre.
Ce marbre est brisé entre la seconde et la troisième ligne, et une partie de la base a été enlevée ; l’inscription est néanmoins assez bien conservée. Le personnage qui acquitte le vœu, n’est désigné que par les signes I. P. P. Il est impossible d’en retrouver le nom d’une manière incontestable »…
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Ce fut au tour de la Société archéologique du midi de la France, de plancher sur le sujet dans un style épuré et descriptif propre à tout travaux scientifiques. Elle intégra le résultat de ses recherches dans l’une de ses parution (1832-1833). Le relevé de cet autel votif avait déjà inscrit en 1814.
(Complément de la p 13 ajouté en p 415). Mémoires de la Société archéologique du midi de la France Année 1832 / 1833 (Vol 1) Alexandre Du MÈGE (de la Haye) Secrétaire-général de la société.
PAGE 6 : Nous ne possédions pas encore, peut être, dans la Guienne, une seule inscription consacrée à Diane. Celle que je trouvai à l’Artigue de Salabre, hauteur environnée de celles d’Oneïde, de Cot, de l’Aouet, de Nerepugn et d’Argent, n’était pas même dédiée en entier à la fille de Jupiter et de Latone ; elle l’était aussi Aux Dieux des Montagnes et Sylvain (1).
(1) Voyez pour ce monument vignette qui le représente et ui a été placée à la fin du présent mémoire. On peut consulter aussi sur ces « monumens » et sur la théogonie gauloise, « Les Monumens religieux des Volce Tectosages, des Garumni et des Convenæ », 1 vol. in-8* Paris 1814. C’est un fragment de l’Archéologie Pyré
PAGE 13 : « Autel consacré aux Dieux des Montagnes, à Diane et Sylvain, en accomplissement d’un vœu, par un particulier dont les noms ne sont indiqués sur ce marbre que par trois lettres (I.P.P.). Ce monument connu, et même célèbre dans une portion du département des Hautes-Pyrénées, portait le nom de « Pierre de Tous ». Il était placé sur une colline, peu éloignée de la montagne de Toutes Flauts, et nommée l’Artigue de Salabre : les hauteurs d’Oneide, de Cot de l’Aouet, Nerepugn et Areing environnent celle de Salabre. Ce monument, qui fait aujourd’hui partie des collections du Musée de Toulouse a été publié pour la première fois en 1814 (2). Ce n’est donc pas la » Pierre du sacrifice » que l’on aurait trouvé près de la chapelle de l’Isard en « Baros » (Biros), qui est actuellement au musée Saint-Raymond) mais bien l’autel trouvé à l’Artigue de Salabre en Barousse (Complément de la p 13 ajouté en p 415). Mémoires de la Société archéologique du midi de la France Année 1832 / 1833 Dans l’esprit des différents transcripteurs, il y eut donc double confusion géographique : Areigne / Areing et Baros / Barousse.
(2) Inscription Romanarum corpus absolutum, par DCCCXIV, n° 12. « ‘Musée des antiques de Toulouse »
Répertorié dans : « Description du musée des antiques de Toulouse » 1835
88. « Autel élevé aux Dieux de la montagne, à Diane et à Sylvain. On ne lit pas aisément l’inscription gravée sur cet autel, presqu’entièrement noirci par le temps.Placé d’abord sur l’Artigue de Salabre, petite montagne voisine de celle de Tous et environnée de celle d’Oneide, de Cot de l’Aouet, des Flaüts, de Nerepugn et d’areing, il recevait encore, il y a que peu d’années, les homages des habitants des vallées voisines. Ce culte rendu aux génies protecteurs des hauts-lieux, est un des restes de cette antique religion, dont le Christianisme n’a pas encore en cet instant effacé toutes les traces de nos montagnes. Naguères les bergers s’approchaient avec respect de cet autel antique qu’ils nommaient la « Pierre de Tous » : « Malheur, disaient-ils, dans leur langage énergique et pittoresque, malheur à celui qui porterait impie. » On sait que, dans le XIIIe, les peuples du Couserans avaient une vénération profonde pour Diane, dont le nom est inscrit sur notre autel. Cette déesse fut toujours comptée parmi les Déités des montagnes. Le poète Callimaque fait adresser par Diane cette demande à Jupiter : « O mon père… cède moi les montagnes. Je ne demande qu’une ville : j’habiterai les monts, et n’approcherai des cités qu’aux « moments » où les femmes, en proie aux douleurs de l’enfantement, m’appelleront à leu aide ». Sylvain qui est associé ici à Diane, était le Dieu des forêts ; il était aussi compté parmi ls Divinités agrestes : Fortunatus et ille Des qui novait agrestes Panaque, Sylvanumque senem, Nymphasqe sonores. « Heureux aussi celui qui a donné les clameurs à ses nouveaux dieux ruraux, Pan, Des, Sylvanumque le vieil homme et les Nymphes ». J’ai publié plusieurs fois cet autel (1). Sur la partie supérieure en dessus de la corniche, on remarque un X ou une sorte de Tau et un C. Le premier caractère tracé avec quelques aviations de forme, se retrouve sur plusieurs monuments du polythéisme que j’ai découverts dans nos montagnes, et j’ai cru y reconnaître une sorte de consécration chrétienne, une marque qui indique que ces objets sont arrachés aux superstitions païennes et dédiées au vrai Dieu (notez la partialité religieuse, peu scientifique de l’auteur). Sur les fust de l’autel on voit les caractères « suivans » :
DIS MONT ET SILVANO ET DIANÆ I.P.P.V.S.L.M
Le particulier qui éleva cet autel est désigné par les sigles I.P.P. Il paraît d’abord aisé de suppléer à ce qui manque pour avoir les noms de ce personnage ; mais comme on peut trouver pour chaque lettre initiale plusieurs « différens » il serait au moins inutile d’essayer la restitution de ceux du dévot Aquitain (admirez la pirouette sémantique) qui plaça ce monument sur les rochers de « Tous » Les quatre lettres qui terminent l’inscription signifient, comme je l’ai dit plusieurs fois, Votum Solvit Lubens Merito (patient en plus… ).
(1°) « Monumens religieux », p 302, 303. Mémoire de la Société Archéologique. Vol 1, p 13 (cf: ci-dessus)
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Mentionné dans le livre de M. le curé de Saint-Sulpice , Histoire du culte de la Sainte-Vierge en France Chapitre Troisième, p 357 – 1863.
Avec le curé de Sain-Sulpice, qui prêche pour sa paroisse, nous franchissons un cap dans la mystification. Dans son empressement à décrire cette charmante scène agreste, il en oublie que le véritable autel votif est dédié à Sylvain et Diane, Pan n’étant qu’un ersatz de Sylvain et n’est en rien une pierre du sacrifice. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, il associe volontairement la chapelle de l’Isard et le culte de la Vierge-Marie qui y est rendu, à une antique dévotion à ces dieux païens…
« Sur cet emplacement, que couvrent les neiges pendant l’hiver et que les bergers seuls fréquentent pendant l’été, s’élevait, dit-on, au temps du paganisme, un autel consacré aux dieux Pan et Sylvain ; et la pierre du sacrifice aurait été transportée au musée de Toulouse (1) où elle serait encore… »
Cette version sera reprise consciencieusement par Adelin Moulis en 1935 et par le bon abbé Eychenne de la Paroisse de Sentein en 1997.
(1) Musée des antiques de Toulouse – actuel musée Raymond IV-
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Repris partiellement dans : Monumens religieux des Volces Tectosages, des Gerumni et des Convenæ 1923 – p 306
Cette version est beaucoup plus réaliste et historique et décrit sous un jour nouveau la dite pierre.
« On assure que les Bergers qui conduisent leurs troupeaux sur l’Artigue de Salabre, n’approchent de la « Pierre de Tous » qu’avec un respect religieux. Malheur, disent-ils, ‘à celui qui porterait une main sacrilège sur ce monument ! La foudre frapperait cet impie ! » Une tradition, non interrompue, a sans doute appris à ces hommes simples et grossiers que cet Autel fut consacré aux Divinités des Montagnes, et que les habitants des Pyrénées adoraient principalement les Déités secourables dont les noms paraissent encore sur ce marbre antique. «
——————————————– Adelin Moulis, dans » Vieux sanctuaires ariégeois » (1935), rependra la version « christianisée » de Mr le curé de Saint-Sulpice, dans une description haute en couleur, comme seul le XIXe sut en produire. ——————————————–
Cité et recopiée religieusement par l’abbé Eychenne dans Histoire de la chapelle de l’Isard ~1997 )
Comme vous aurez pu le constater à la lecture de ce long article, peut être même rébarbatif, chaque source (même éminente) doit être vérifiée avant qu’elle ne soit publiée, sous peine de diffuser une erreur, qui se transmettra d’une publication à l’autre. Errare humanum est, perseverare diabolicum… (l’erreur est humaine, persévérer est diabolique)… À bon entendeur salut.
Pour clore cette rectification, nous joignons la réponse que nous reçûmes du conservateur du « Musée archéologique saint Raymond » à Toulouse en 1996.
. L’analyse et la traduction de l’inscription sculptée sur la stèle votive dont il est question ci-dessus, sont développées dans un autre article (catégorie étymologie).
. Afin de rétablir la vérité sur une falsification historique…
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